De Claudia Blume
Les chirurgiens travaillant pour Médecins Sans Frontières (MSF) et possédant autant d’expérience que le Dr Edgar Escalante dans le traitement des blessés de guerre sont rares.
Originaire du Salvador, mais vivant maintenant à Vancouver, Edgar a été pendant 13 ans à la tête du service d’orthopédie d’un hôpital de la capitale San Salvador pendant la guerre civile sanglante qui a ravagé le pays. Désirant vivre dans un endroit calme et paisible, il s’est établi au Canada après son départ à la retraite. Cependant, il n’a pas tenu en place bien longtemps. Il a postulé pour travailler avec MSF, organisation qu’il a découverte à la suite d’un tremblement de terre au Salvador dans les années 1980. « J’ai toujours eu le goût de travailler pour une organisation humanitaire, mais j’étais pris par l’éducation de mes sept enfants », dit-il en riant. « Une fois à la retraite, ma femme m’a encouragé à réaliser mes rêves. »
Cela fait maintenant 20 mois que le Dr Escalante travaille comme chirurgien pour MSF dans des zones de guerre. Il est d’abord parti au Yémen puis en Afghanistan à l’hôpital de MSF à Kunduz. Trois mois après avoir quitté l’Afghanistan, tandis qu’il se trouvait déjà en Jordanie pour son affectation suivante, il a appris que l’hôpital de Kunduz avait été détruit dans une attaque aérienne le 3 octobre 2015. « Cela m'a bouleversé; ça a été très dur », se souvient-il. « J’ai pleuré pendant plusieurs jours. Cela a été l’un des pires moments de mon expérience avec MSF. »
En dépit des exhortations de ses collègues à débrancher deux patients des appareils qui les tenaient en vie, le Dr Escalante a décidé de se battre pour les sauver, envers et contre tout. « Je ne baisse facilement pas les bras, » déclare-t-il.
Reconstruire des vies détruites par la guerre
En Jordanie où il a travaillé pendant 14 mois à l’hôpital de Ramtha, un programme chirurgical d’urgence de MSF près de la frontière avec la Syrie, il a également connu beaucoup de moments difficiles. Pendant la majeure partie du temps qu’il a passé là-bas, l’hôpital était plein de blessés de guerre qui avaient traversé la frontière syrienne. Au début, son équipe et lui-même ont principalement soigné des victimes blessées par des barils d’explosifs et ensuite des patients présentant des blessures par balle. La plupart d’entre eux étant des femmes et des enfants.
L’un des patients dont le Dr Escalante se souvient très bien était une jeune femme enceinte de 19 ans qui avait été grièvement blessée lors d’un attentat à la bombe en Syrie. « Nous avons dû l’amputer des deux jambes, » raconte-t-il. « Presqu’aussitôt après l’opération, ses contractions ont commencé; nous avons dû la transférer dans un hôpital public pour qu’elle accouche. » Quand il l’a revue, dans un camp de réfugiés voisin où il rendait régulièrement visite à ses anciens patients, la jeune mère est venue à sa rencontre à l’aide de membres artificiels, souriante et tenant son bébé dans les bras.
En tant que responsable des activités chirurgicales, il a dû prendre des décisions de vie ou de mort de nombreuses fois. Un jour, considérant comme des cas désespérés deux de ses patients présentant de graves lésions cérébrales, thoraciques et abdominales ainsi que des fractures multiples, les collègues du Dr Escalante l’ont exhorté à les débrancher des appareils qui les maintenaient en vie. Il a néanmoins décidé de se battre pour les sauver, envers et contre tout. « Je ne baisse pas facilement les bras », déclare-t-il. « Je suis doté d’un sixième sens. » aujourd'hui, les deux patients sont pleinement conscients et capables de marcher. Chaque fois qu’ils l’apercevaient dans le camp de réfugiés où ils vivent maintenant, ils lui donnaient l’accolade.
Le Dr Edgar Escalante au bloc opératoire du centre de traumatologie de MSF à Kunduz, en Afghanistan, au début de 2015. Il a pleuré quand il a appris que l'hôpital avait été détruit par des frappes aériennes américaines en octobre dernier. (Photo : Andrew Quilty)
Témoigner sur la tragédie de ce conflit
À la fin juin, la situation a soudainement changé à l’hôpital de Ramtha. Après un attentat meurtrier à la voiture piégée le 21 juin, la Jordanie a fermé sa frontière avec la Syrie. Depuis, plus de 75 000 Syriens, en majorité des femmes et des enfants, se retrouvent bloqués à la frontière dans une zone désertique connue sous le nom de « Berm » et sont privés de toute aide humanitaire. Les blessés de guerre ne sont plus en mesure de traverser la frontière pour se faire soigner en Jordanie.
« Nous ne recensons aucun nouveau cas à l’hôpital de Ramtha », explique le Dr Escalante. « D’habitude, nous avions environ 45 patients, alors qu’en septembre, nous n’en comptions que 10. » Il fait remarquer que le bloc opératoire nouvellement installé est maintenant inutilisé, et que le personnel médical craint de ne plus être en mesure de venir en aide aux nombreux Syriens qui ont besoin de soins de toute urgence.
Récemment rentré au Canada, le chirurgien partira en voyage pour s’accorder des vacances bien méritées. Néanmoins, il parle déjà de retourner bientôt sur le terrain avec MSF. « Rien n’est encore confirmé », concède-t-il. « J’attends maintenant que MSF me propose mon prochain mandat. » Après avoir passé plusieurs dizaines d'années à soigner des patients souffrant de traumatismes, le Dr Escalante souhaite continuer à travailler là où son aide est la plus cruciale.