Voici un an aujourd'hui que des attaques aériennes menées par l'armée américaine ont détruit l'hôpital de traumatologie de Médecins Sans Frontières (MSF) à Kunduz, en Afghanistan, lors desquelles 42 personnes ont perdu la vie. Cette attaque a violé les règles de la guerre qui exigent la protection des structures et du personnel de santé de la part des belligérants en zones de conflit.
Dans l'article d'opinion ci-dessous, qui a d'abord été publié en anglais dans le journal Globe and Mail, Heather Culbert, médecin et présidente de MSF Canada, et Stephen Cornish, directeur général de MSF Canada, reviennent sur les événements tragiques du 3 octobre 2015. Ils déplorent le nombre grandissant de violations du droit international humanitaire depuis les 12 derniers mois.
Article d'Heather Culbert, médecin et présidente de MSF Canada, et de Stephen Cornish, directeur général de MSF Canada
Il y a un an, dans la nuit du 3 octobre, un avion militaire américain a attaqué une base à Kunduz, en Afghanistan, une ville devenue champ de bataille entre les Talibans et les forces gouvernementales soutenues par les États-Unis. L’avion a tiré plusieurs missiles sur sa cible, détruisant le bâtiment mais tuant aussi 42 personnes piégées à l’intérieur.
La cible de cette attaque militaire n’était pas une base tenue par des Talibans. Il s’agissait d’un hôpital; une structure gérée par Médecins Sans Frontières (MSF), et la seule dans la région capable d’offrir des soins chirurgicaux tertiaires. Les victimes de cette attaque américaine étaient des médecins, des infirmiers, des patients et des accompagnants. Certains étaient venus à l’hôpital pour obtenir des soins, d’autres y étaient pour les fournir. Tous ont été pris dans une tornade de feu, certains ont été brûlés vifs dans leur lit d’hôpital, d’autres abattus d’en haut alors qu’ils tentaient de fuir.
Les événements de cette nuit-là à Kunduz ont été à la fois choquants et ont aussi marqué un tournant. Le fait que l’armée américaine ait ouvertement enfreint l’un des principes fondamentaux du droit international humanitaire en attaquant des civils dans un centre de santé est des plus affligeants. Mais ceci n’était aussi que le début. Douze mois se sont écoulés depuis, et les attaques violentes perpétrées contre des civils et des structures médicales en zones de conflit ont atteint des niveaux impensables et inédits.
Des attaques militaires sans précédent contre des civils
Au cours des six derniers mois, davantage de civils ont été tués par des forces militaires que sur l’ensemble de l’année dernière. Dans la ville de Taïz, au Yémen, où une guerre civile oppose des forces soutenues par des puissances internationales comme celles de l’Iran, des États-Unis, du Royaume-Uni et de l’Arabie saoudite, entre 50 et 60 pour cent des blessés de guerre pris en charge par MSF étaient des civils, pas des combattants. En Syrie, les belligérants utilisent la tactique du double impact où l'on bombarde un hôpital une première fois, puis une deuxième lorsque les équipes de secours arrivent sur place, afin de faire un maximum de dégâts. Rien qu’au mois de juillet, 43 hôpitaux ont été attaqués en Syrie, soit plus d’un par jour. En Afghanistan, rien qu’au premier semestre de 2016, le nombre de civils tués ou blessés dans les violences a atteint un niveau record : 5100 au total dont 1500 enfants.
Qu’ils soient directement pris pour cibles, victimes de dommages collatéraux ou tout simplement de négligence, ce sont les civils prisonniers des conflits qui subissent ces événements atroces qui relèvent ni plus ni moins d’une punition collective. À l’heure actuelle, nous sommes témoins d’une situation dans laquelle enfreindre impunément le droit international humanitaire fait partie intégrante des stratégies militaires qui relèvent de la négligence pour ne pas dire de la routine. Ceci est d’autant plus grave que ces pratiques sont de plus en plus banalisées par des dirigeants mondiaux hypocrites qui déplorent les pertes humaines en public, mais négligent d’utiliser leur pouvoir pour mettre fin aux attaques perpétuelles.
La semaine prochaine, soit un an après la tragédie de Kunduz, cela fera également cinq mois que le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la Résolution 2286 visant à offrir une protection accrue aux civils, aux structures et au personnel de santé en zones de conflit. Depuis que cette résolution a été signée à l’unanimité en mai dernier, au lieu d’assister à une diminution des atrocités, nous sommes témoins d’attaques continues et sans merci, notamment en Syrie et au Yémen où quatre des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU sont activement impliqués.
Ces cinq membres permanents du Conseil de sécurité sont grandement responsables de cette tendance déplorable. En effet, ils ont soit enfreint les règles de la guerre eux-mêmes, soit ont permis à leurs alliés et mandataires de le faire en toute impunité. Si les grands décideurs de ce monde – qui font mine de respecter le droit international humanitaire – voyaient de leurs propres yeux le sang et la destruction causés par le bombardement d’un hôpital, d’une école ou d’un marché, ils auraient peut-être le courage et la détermination de passer des paroles aux actes et de demander des comptes à ceux qui enfreignent ces lois.
Il est temps de traduire les paroles en actes
Mercredi dernier, le Conseil de sécurité s’est réuni afin d’émettre des recommandations concernant la mise en œuvre de la Résolution 2286. Cette mesure était une étape essentielle pour admettre que l’action humanitaire, qui apporte des soins en zones de conflit, qui protège les plus vulnérables des effets ravageurs de la guerre, et qui reconnaît qu’il existe un concept tel que les règles de la guerre, est menacée.
Le Secrétaire général des Nations Unies a proposé des recommandations pour renforcer la reddition de compte et améliorer la protection décrite dans la Résolution 2286. Une mesure vise également à garantir que ceux qui enfreignent le droit international, notamment en matière de protection des soins médicaux dans des conflits armés, soient tenus pour responsables.
Bien que nous appréciions ces recommandations et l’appel du Secrétaire général à défendre le droit international humanitaire, nous sommes néanmoins habitués aux déclarations et aux belles promesses. Le vrai test sera de voir s’ils sont suivis d’effets sur le terrain. Si ceux qui ont pris part à la réunion du Conseil de sécurité la semaine dernière sont désormais prêts à traduire leurs paroles en actes concrets, alors on se souviendra peut-être de l’attaque de Kunduz comme d’un acte isolé plutôt qu’un tournant tragique dans l’histoire. Nous avons le pouvoir de faire changer les choses si nous le voulons; il nous suffit juste de demander des comptes à nos dirigeants.
- Lire le discours de Joanne Liu, médecin et présidente internationale de MSF, devant le Conseil de sécurité de l'ONU demandant une meilleure protection du personnel médical en zones de conflit
- Soutenez la campagne #PasUneCible de MSF Canada sur les réseaux sociaux qui condamne les attaques perpétrées contre les structures civiles en temps de guerre
« Les événements de cette nuit-là à Kunduz ont été à la fois choquants et ont aussi marqué un tournant. Le fait que l’armée américaine ait ouvertement enfreint l’un des principes fondamentaux du droit international humanitaire en attaquant des civils dans un centre de santé est des plus affligeants. Mais ceci n’était aussi que le début. Douze mois se sont écoulés depuis, et les attaques violentes perpétrées contre des civils et des structures médicales en zones de conflit ont atteint des niveaux impensables et inédits. »