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Channel: Doctors Without Borders Canada/Médecins Sans Frontières (MSF) Canada
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« S'il vous plaît, parlez de nous » : Une infirmière canadienne se rappelle de ses collègues sur le terrain en République centrafricaine

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Amy Nyland est une infirmière canadienne qui est récemment revenue d’une mission de sept mois à Bossangoa, en République centrafricaine (RCA). Elle participait aux efforts continus de Médecins Sans Frontières (MSF) pour fournir des soins médicaux essentiels  dans ce pays ravagé par la violence depuis les deux dernières années, alors que les tensions sectaires ont mené à des massacres et à l’effondrement de plusieurs structures d’un état fonctionnel.

Mais au milieu des défis difficiles auxquels doivent faire face les équipe de MSF sur le terrain en RCA, il y a également des sources d’espoir — en commençant par les membres du personnel de MSF eux-mêmes, qui aident l’organisation à fournir des soins médicaux vitaux dans les pires conditions. Dans l’article ci-dessous, Amy se rappelle de certains de ces collègues avec qui elle a travaillé en RCA, et qui continuent d’accomplir le travail de MSF dans leur pays.

 

Par Amy Nyland 

« S'il vous plaît, ne nous oubliez pas. S'il vous plaît, parlez de nous ».

Ce fut l'une des dernières choses que m’ont dites mes collègues du personnel national avant je monte dans l’avion pour le long retour à la maison, au Canada. Je venais de terminer une mission de sept mois comme une infirmière avec Médecins Sans Frontières (MSF) à Bossangoa, en République centrafricaine (RCA).

Honnêtement, il m’aurait été impossible d'oublier les gens avec qui je travaillais en RCA. Ils m’ont accueillie et soutenue, puis m’ont enseigné la dignité, la survie, la résilience et l'optimisme. Et ils m’ont offert ces cadeaux en dépit du fait qu’ils faisaient face eux-mêmes depuis plusieurs années aux ravages de la pauvreté extrême, de l'effondrement des institutions, de la violence et de la guerre dans leur pays, avec une virulence marquée depuis 2013.

Lorsque les médias mentionnent occasionnellement la RCA, ils parlent des violents combats sectaires, des déplacements internes de population et des violences sexuelles utilisées comme arme de guerre. MSF a une présence dans ce pays depuis de nombreuses années. Au plus fort de la crise en 2013 - 2014, MSF était la seule organisation internationale à être restée dans certaines régions et à fournir une assistance médicale essentielle à quiconque en avait besoin, peu importe leur appartenance ethnique, politique ou religieuse.

 

Du travail essentiel qui dépend du personnel local

Plusieurs ignorent que le travail de MSF n’est pas seulement accompli par le personnel international. Il est vrai qu’un groupe diversifié d’employés médicaux et logistiques provenant de divers pays travaillent dans tous les projets de MSF, apportant une variété de compétences et de fournitures qui ne seraient peut-être pas disponibles localement. De surcroît, la présence de personnel international de MSF contribue à ancrer nos principes fondamentaux d'impartialité et de neutralité dans les zones de conflit.

Toutefois, il faut comprendre que 90 pour cent du personnel de MSF est embauché localement. C’est leur pays et ces employés travaillent pour aider leur propre peuple dans tous les domaines, des soins aux patients à la logistique, de l'approvisionnement au transport. Ils sont là avant même que le personnel international arrive, et restent après notre départ. Ils sont au cœur de l'action humanitaire de MSF.

 

 

On ne raconte pas souvent l’histoire des travailleurs nationaux ‑ et quand il s’agit de la RCA, il n’y a beaucoup d'histoires qui donnent espoir en l’avenir. Dans les médias nord-américains et européens, quand il arrive que l’on parle de RCA, nous sommes beaucoup plus susceptibles d'entendre parler des horreurs et des atrocités. Certes, nous avons besoin d’être informés sur ces événements tragiques et nous ne devons pas fermer les yeux ‑ mais ils ne représentent qu’une partie de l’histoire.

Alors, pour en revenir à mes collègues du personnel national en RCA ‑ et ma promesse de me souvenir d’eux ‑ quelles histoires devrais-je raconter?

 

Ausbert — que l’on voit ici avec l’infirmière canadienne Amy Nyland (à droite) et la secouriste Séraphine (gauche) —cherchait à améliorer sa formation pour pouvoir donner de meilleurs soins aux patients de MSF à Bossangoa. 

 

Ausbert, un secouriste qui cherchait à en apprendre plus

Devrais-je parler d'Ausbert, qui travaille comme secouriste à l'hôpital, fournissant des soins directs essentiels à nos patients – et qui m'a dit avec une fierté timide qu’il avait commencé la construction de sa première maison? (Il s’agit là d’un acte d'optimisme dans un pays où l'incendie et le pillage des maisons par les milices se produisent avec une fréquence inquiétante.) Ausbert m’a impressionnée dès les premiers jours de mon affectation quand il m'a demandé avec beaucoup de courtoisie s’il pouvait recevoir un peu plus de formation pour le travail qu'il faisait à l'hôpital. Il avait déjà acquis des compétences de base durant les crises précédentes, et avait reçu un peu de formation en premiers soins.

Ausbert, comme la grande majorité du personnel soignant de MSF à Bossangoa, n’a pas reçu, ou alors très peu, d'éducation formelle dans le domaine de la santé, mais il avait un grand désir de changer cela. MSF offre effectivement des formations, celles-ci étant souvent données par des médecins, infirmières et techniciens de laboratoire du personnel national. Le taux de participation aux présentations était habituellement élevé, et il n’était pas inhabituel pour le personnel de venir pendant leur journée de congé pour participer à ces séances. Ils étaient souvent si désireux de participer que je devais m’assurer qu’il restait suffisamment de personnel dans les différents services de l’hôpital! Cet enthousiasme m’a beaucoup touchée. Je me souviens d’avoir vu, dans la salle de formation, une travailleuse qui était en train de prendre des notes sur une boîte en carton vide qu’elle avait déchirée. Même en l'absence de ressources matérielles, ils trouvaient une façon d'apprendre.

 

Michel, un préposé à l'entretien qui en donne plusand beyond

Je pourrais peut-être aussi parler de Michel, ce jeune préposé à l’entretien ménager que j’ai rencontré alors qu’il lavait le plancher dans l’unité des consultations externes, avec une vigueur hors du commun. Je lui ai dit que son travail n’était pas passé inaperçu, et quand je suis repassée quelques heures plus tard, je l’ai trouvé en train d’installer une extension à son balai pour aller nettoyer les poutres de toiture de la clinique. Je l'ai remercié pour son enthousiasme, mais lui a suggéré qu’il devrait peut-être remettre cette tâche à plus tard, quand il n'y aurait plus de patients assis juste en dessous! (Il a ri et accepté.) Michel est devenu un travailleur exceptionnel dans l’unité des soins intensifs, constamment en mouvement et à l’affût des besoins de nettoyage. Un de mes derniers souvenirs de Michel est de réaliser qu'il était resté, sans qu’on le lui demande, pendant de nombreuses heures après la fin de son quart de travail, pour aider les victimes d'un grave accident de la route. Il n’était pas seul ce soir-là — beaucoup étaient restés et beaucoup d’autres étaient revenus au travail après avoir eu vent de ce qui s’était passé.

 

 

Louise, une maman fière

Puis, il y a eu Louise, l'une des secouristes les plus expérimentées, qui a partagé avec moi que sa fille aînée était sur le point d'obtenir un diplôme universitaire dans la capitale (la première à accomplir cet exploit dans sa famille). Je savais que la plupart des membres de la famille de Louise vivaient dans la capitale. (C’était le cas de beaucoup d’employés, qui devaient parcourir de longues distances et vivre loin de leurs proches pour avoir un travail). Louise a failli ne pas se rendre à la remise de diplôme de sa fille. Pourquoi? La route vers la capitale n’était pas sécuritaire en raison de barrages routiers de la milice et des attaques violentes. Elle a finalement réussi à se rendre et à revenir saine et sauve, et arborait un immense sourire à son retour au travail quelques jours plus tard.

 

Prudence, à droite, avec ses collègues éducateurs en assainissement à l’hôpital. « Ils ont traité notre patiente avec dignité et respect, gardé un œil sur elle, informé les infirmières et les médecins s’ils avaient une inquiétude sur quelque chose, et comblé ses besoins pratiques comme la nourriture et la lessive. »

 

Prudence, une éducatrice qui donne l'exemple en prenant soin d'autrui

Durant les périodes plus calmes, beaucoup d’employés locaux m'ont parlé de leurs familles, de leurs rêves pour leurs enfants et de leurs espoirs pour l'avenir de leur pays meurtri mais si beau. Je pourrais partager une centaine histoires, mais je vais partager une dernière.

Prudence est une jeune femme extraordinairement belle qui travaille dans un hôpital du ministère centrafricain de la Santé que MSF soutient. Je l'ai rencontrée alors qu’elle portait des salopettes peu flatteuses et de longs gants en caoutchouc rouge, l'uniforme standard des préposés à l’entretien dans les hôpitaux. Elle parlait avec animation en sango (langue locale) avec un groupe de mères et d’enfants qui attendaient à l’unité de consultations externes de l'hôpital.  Lorsque la conversation a pris fin, elle a repris son équipement et je lui ai demandé ce qu'elle avait dit. Prudence avait dit aux mères pourquoi il était si important d'utiliser les toilettes, parce que souvent les gens qui viennent de villages éloignés n’ont jamais vu de latrines auparavant, et leur avait expliqué pourquoi il était important de se laver les mains après leur utilisation. Elle m'a alors lancé un sourire éclatant et a repris son travail.

Elle m’avait marquée, et quand j’ai eu la chance quelques mois plus tard de suggérer des candidats pour le poste d'éducateur en assainissement, elle était un choix évident. Elle a été embauchée et a intégré une équipe grandissante d’éducateurs en santé et en assainissement qui parcourait tout l’hôpital pour diffuser des messages importants. Ses talents d'orateur, combinés à sa grande beauté, étaient des atouts réels pour capter l'attention des gens. En fait, j’ai même entendu un groupe applaudir une fois, après une de ses interventions.

 

Puis, Prudence est venue me rejoindre. Elle a parlé tranquillement en sango à la patiente et gardé son calme quand la femme s’est approchée d’elle, lui a pris la main et a commencé à chanter et à danser. 

 

J’ai également eu l’occasion de voir sa beauté intérieure avant que je quitte la RCA pour revenir au Canada. Une dispute avait éclaté dans l’enceinte de l’hôpital entre deux femmes, l'une menaçant l’autre avec un gros bâton. Il était vite devenu évident que la deuxième femme souffrait d'une maladie mentale et se trouvait en état de détresse. Et au-delà de son état mental, la patiente présentait plusieurs brûlures à moitié guéries et portait des vêtements mouillés, sales et déchirés. La femme avec le bâton (avec une foule qui s’était massée autour d’elle) riait et menaçait l’autre femme qui était manifestement malade. J’ai pris ma radio et appelé pour une assistance médicale, puis j’ai demandé à la foule de se disperser, mais personne n’a bronché.

Puis, Prudence est venue me rejoindre. Elle a parlé tranquillement en sango à la patiente et gardé son calme quand la femme s’est approchée d’elle, lui a pris la main et a commencé à chanter et à danser. Les autres regardaient la scène en se moquant, mais Prudence a souri gentiment et s’est simplement mise à danser. Peu de temps après, le médecin est arrivé et tous ensemble, nous nous sommes déplacés vers un endroit plus à l’abri des regards. La foule a progressivement perdu intérêt et s’est dispersée. Prudence et plusieurs préposés à l’entretien sont restés avec le médecin et moi, faisant la traduction pour arriver à connaître le nom de la patiente et savoir comment elle en était arrivée à l'hôpital.

Au cours des heures et des jours qui ont suivi, nous avons tous travaillé ensemble pour stabiliser la patiente. On lui a administré des médicaments, on a pansé ses plaies, on l’a lavée et on lui a fourni des vêtements propres. J’ai vu cette espèce de famille, de communauté se construire pour elle et autour d'elle. Prudence, les autres éducateurs et les préposés à l’entretien ont pris les devants sur cette question. Ils ont traité notre patiente avec dignité et respect, gardé un œil sur elle, informé les infirmières et les médecins s’ils avaient une inquiétude sur quelque chose, et comblé ses besoins pratiques comme la nourriture et la lessive. Une communauté de soignants s’est rapidement développée et bientôt, plusieurs autres employés de l'hôpital ont adopté des attitudes similaires.

Benithe, une secouriste qui travaille avec MSF à Bossangoa, montre à Amy son nouveau bébé Issa-Edo — un nom que Benithe et son mari ont demandé à Amy d’aider à choisir pour leur garçon. « J’ai finalement choisi le nom de mon père (Edo), qui est décédé il y a plusieurs années », a dit Amy. « Je pense qu’il aurait aimé que son nom soit honoré de cette façon! »

 

Sont-ils en sécurité? Sont-ils heureux? 

J’aurais aimé pouvoir confirmer ici que cette histoire a eu un dénouement heureux, mais je n’en sais rien. Il y a eu plusieurs facteurs aggravants avant mon départ, et un résultat positif à long terme était loin d’être garanti.

Je suis maintenant de retour au Canada, et je pense souvent à mes patients et collègues en RCA. À quelles situations font-ils face aujourd’hui? Ont-ils ce dont ils ont besoin pour poursuivre leur travail? Sont-ils en sécurité? Sont-ils heureux? Auront-ils une chance de se développer à leur plein potentiel?

Je ne connais pas l’issue de tous mes récits, mais je m’accroche aux beaux moments, si petits soient-ils, comme cette première soirée avec Prudence et notre patiente, qui était alors calme et propre, portant ses nouveaux vêtements. Prudence a ramassé à côté d’elle un foulard coloré qu'un autre travailleur avait trouvé, et a commencé à le lui nouer sur la tête, à la mode des femmes locales. Notre patiente s’est étirée pour toucher à la fois le foulard et les mains élégantes qui se mouvaient doucement au-dessus de sa tête. Puis les deux femmes ont souri.

 

 

French, Canada
Source: 
2015/07/17 - 19:30
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